Ce garçonnet ne l'a pas toujours été, dont nous croyons savoir qu'à sa lointaine entrée dans la carrière de mécano, très largement senior il n'était déjà plus très loin d'une retraite bien méritée, quand il faut croire que le Temps se mit à aller à rebours, et dès lors, jour après jour, heure après heure, minute après minute notre chevronné mécano rajeunissait, et le véhicule sous lequel il s'échinait, emporté dans le même mouvement, insensiblement se réduisait de sorte à se proportionner à la taille de son mécano toujours plus petiot, tel que nous le voyons ici, et toujours aussi dur à l'ouvrage. Reste à savoir si le processus est appelé à s'enrayer, et la situation acquise à se stabiliser, ou si, au contraire, les choses suivant leur cours, il faut s'attendre à ce que la petite auto, à force de se miniaturiser, et le garçonnet, à force de rapetisser ... : et sur le sol nu nous ne verrons plus qu'une pince et une clé mais si petites, si petites, comme à seule fin de témoigner de quelque énigme incompréhensible, ou de figurer, quoique minuscules, les armes d'un crime parfait.
Dans le Salon Littéraire du 25 février, un article de Thierry Maugenest, auteur entre autres livres de Venise.net auxÉditions Liana Levi ; Les rillettes de Proust chez JBZ&Cie ; La septième nuit de Venise, chezAlbin Michel.
Légende, nom féminin, du
latin legenda : ce qui doit être lu (Petit Larousse)
Au commencement, il y a la magie
du verbe de Jacques Géraud. Il s’agit d’un phrasé très personnel, jubilatoire,
méandreux, étiré, proustien diront certains en admettant cependant que
la phrase du grand Marcel contient moins d’anglicismes farfelus, de latinismes,
de calembours, de voltes, de pirouettes. Si bien que l’étude de la prose de
Jacques Géraud devrait s’imposer à quiconque voudrait embrasser le noble métier
des lettres. Il ne serait pas mauvais non plus que les professeurs revisitent
enfin les paradigmes des figures de style afin de remplacer par exemple les
sempiternels serpents qui sifflent sur nos têtes par cette phrase de la
page 47 de Photoroman : « … sans que nul souffleur ne
s’offre – mais ne serait-ce pas tricher ? – pour l’aider enfin à énoncer
ce que c’est que ceci qui est sien… »
Après le verbe de Jacques Géraud,
il y a ses mots. Qu’ils soient usuels, rares, oubliés, méconnus, ils ont en
commun d’être choisis avec un soin rigoureux parmi les dizaines de milliers
d’entrées du dictionnaire, dont on se demande parfois s’il n’est pas le livre
de chevet de l’auteur pour le si bien connaître. Prestesse, flapie, giberne, infrangible, boulange, remuements,
pulvérulente et autres flaccidités… quel plaisir de (re)découvrir ces
idiomes savoureux. L’auteur de Photoroman nous rappelle à chaque page que
notre langue est belle et qu’il est salutaire de l’honorer ainsi, de la
restaurer, de la servir.
Mais que dit-elle cette
phrase ? Elle engendre et génère des légendes. La légende, c’est tout d’abord un texte expliquant une
photographie, un dessin (Larousse). Mais tout en légendant Jacques Géraud
détourne. Quand d’autres choisissent les mineures, les fonds ou les avions,
l’auteur (qui dérouta un temps les mots – Proustissimots édition Champ vallon ) détourne ici le sens
des photos ou des tableaux qui lui
tombent sous la main. Car il sait que la légende est aussi un récit à
caractère merveilleux où les faits historiques sont transformés par
l’imagination (re Larousse). Et en légendant à tout va, l’auteur s’en prend
avec la même verve au quidam ou à Jésus himself, en passant par Lenine, Kafka
ou Sartre, devenant ainsi le prophète d’une nouvelle mythologie, où le Christ, ployant sous une poutre de belle
taille, s’en va bâtir un chalet suisse en kit.
A côté des grandes figures
religieuses ou littéraires, moquées et pastichées à souhait, Jacques Géraud
s’intéresse aussi à la nudité féminine, rappelant avec un clin d’œil que de la
satire au satyre il n’y a jamais qu’une lettre de différence. Il n’ignore pas
que la tonalité d’une œuvre, musicale ou littéraire, est souvent donnée par le
premier et le dernier mot. Ainsi, quand Proust commence son oeuvre par Longtemps
pour l’achever avec temps, Jacques Géraud ouvre son livre avec épouse
et le finit avec… nue ! Sex Gods et Jeux de rôle….
Et c’est pas fini. Le forfait
Jacques Géraud vous offre aussi le blog Geronimots.
Pour ma part, je commence souvent
mes journées avec la lecture des trois aphorismes de Chevillard, et je la
termine devant une photo légendée de Jacques Géraud à cette adresse :
Ils font des envieux, bien sûr, ces écrivains bénéficiaires d’une bourse
couplée à la jouissance d’un logis dévolu à la gestation de leur grand œuvre.
La réalité est parfois plus âpre, au vu de ce document à nous adressé par Godefroy Fripou, qui fut en résidence à Laclap, dans le Var, tous frais payés pour
neuf mois par la région PACA. Si le jeune auteur de Viens en moi pour m’aimer (2011) et de La Tarte Constantin (2013), aux Éditions Lagnelet, s’attendait à un
cadre sobre, sans doute, mais chaleureux, fonctionnel, quelle ne fut pas sa
déconvenue à son entrée dans ce studio qui lui fut d’abord "l’emblème du délabrement », nous
écrivait-il, avant que le médiateur culturel ne lui expliquât que la Région
avait fait appel à l’un des plus brillants designers de PACA, lui donnant mission de concevoir un "espace de
singularité", résolument "antagonique
à l’imago du chez-soi petit-bourgeois". Aux fins de "déstabiliser" et "déréguler" le
jeune auteur et, partant, de le rendre plus fécond, le site fut donc vidé du plus gros
de son ameublement, de la bibliothèque au bureau,
puis délibérément "dénudé" et "brutalisé", par
arrachage, martèlement et fracas. La cheminée, promesses de veillées
émollientes, se changea en un trou noir, on attaqua le lit pour en simplifier
et dégrader l’apparat, on eut soin de répandre avec art les gravats, et voici
que putrégner ou trôner, au sein
d’une subtile grisaille dont il semble offrir la quintessence, ce fauteuil
d’écrivain sur l’assise endolorie duquel, négligemment jetée, repose une revue
dont Godefroy a omis de nous préciser le caractère : tourisme ?
porno ? actus ? Ou bien serait-ce le Texte, fruit de ces neuf mois
résidentiels, secrété par l’espace de
singularité, et narrant peut-être des amours décrépites à même le sommier
sordide, ou étayées par le fauteuil défoncé ? Si même, plus radicalement, en
cette mince plaquette à la bleuâtre couverture ce n’est pas l’être de
Godefroy qui – saurons-nous jamais comment ? – s’y serait non seulement projeté,
mais résorbé, ne laissant de lui nulle autre trace.
Sommairement vêtu d'un drap jeté à la diable sur l'épaule et noué sur la hanche, ce brave homme s'en allait,tel un émule duCandide de Voltaire, cultiver son jardin - ou s'amuser à creuser sa tombe? -, quand nous le vîmes alpagué par cette dame dodue, qu'il voudrait repousser d'une main, mais la main de l'assaillante, pas découragée pour si peu, vogue vers l'objet de son désir ... : et nous frémissons à la pensée qu'il lui suffirait de tirer d'un coup sec sur le linge qui vêt le pauvre homme pour que celui-ci, tel, à Gethsémani, certain jouvenceau des Saintes Écritures (Marc 14.51), lui aussi vaguement vêtu d'un drap, n'ait d'autre issue que de s'enfuir "tout nu", probablement poursuivi par la bonne femme, à moins que métonymiquement elle ne se résigne à se contenter du drap, le ramenant à la maison, s'enfermant avec lui dans sa chambre, s'enveloppant dans ses plis, y trouvant, même, la volupté la plus vive, à moins qu'en chemin elle ne se voie disputer cette pièce par d'autres femmes qui, Dieu sait pourquoi, l'auront elles aussi jugée unique et, faute de l'avoir tout entière, sont d'ores et déjà disposées, se ruant dessus, à lui arracher un morceau, un lambeau, espérant trouver leur bonheur dans ce vestige, soit qu'elles se le nouent en un turban ou, plus petit, qu'elles s'en fassent un mouchoir (au risque d'avoir sans cesse le nez qui coule), ou, un peu plus grand, une serviette de table, voire même - et pourquoi pas? - une serviette hygiénique comme si leur sang intimement se mélangeait à celui de l'homme, ce dernier serait-il encore à galoper tout nu dans la campagne, sans plus savoir qui il est ni ou il va ni rien.
Comment ne pas souhaiter que la première Journée Mondiale de la Sécheresse Vaginale ait de quoi jeter les bases d'une levée en masse contre ce fléau, trop souvent sous-estimé, où le réchauffement climatique, selon certains experts de l'OMS, jouerait un rôle non-négligeable. Les amoureux d'antan se bécotaient sur les bancs publics, qui aujourd'hui font la tronche, anxieux d'avoir à se colleter avec ce douloureux problème. Contacté par nous, le Dr Choron, gynécologue-adjoint à l'hôpital Ambroise Paré (le sera-t-il à l'éventualité de l'aggravation du phénomène?), n'aura pu nous faire part que de son noir pessimisme ... Rien, nous disait-il au téléphone, n'aurait pouvoir d'endiguer (sic) un fléau qui à l'en croire, et nous ouvrions des yeux ronds, découle (re-sic) de la "volonté de Dieu ... ou de quelque autre créature transcendante", voulut-il bien se reprendre, sans réussir à nous éclairer beaucoup avec les assertions de sa théologie confuse.Et il raccrocha en grommelant, nous laissant si abattu que notre seule envie immédiate fut de nous laisser choir dans le fauteuil grisâtre, décati, illustrant l'affiche de la Journée mondiale, à peine habité de la vague espérance que nous pourrions y avoir une compagne, venue s'asseoir à notre droite entre les accoudoirs revêches de la méchante chaise rouillée, déglinguée, et avec laquelle entreprendre, si elle y consent, quelques travaux pratiques qui pourraient apporter une amorce de démenti aux prédictions sinistres du clinicien?
Les rares spécimens encore en piste de cette espèce menacée : l'auto-stoppeur, sont fatalement amenés, pour maximiser leurs chances, à user de toutes armes qu'ils pourraient avoir à leur disposition. Celui-ci, de sa main libre, celle qui, depuis des heures peut-être, n'est pas requise par le geste auguste de l'auto-stoppeur, tiendra négligemment une hache, de sorte à se donner l'allure d'un travailleur manuel, tout disposé à effectuer, si vous le chargez dans votre véhicule, quelques menus travaux d'abattage au fond de votre parc, ou plus modestement à fendre en deux, non pas votre boîte crânienne, mais votre provision de bûches pour l'hiver. Celle-là, dotée pour tout attribut vestimentaire d'une paire d'escarpins, s'offrira volontiers à poser pour vous si vous êtes artiste peintre ; même, drapez-la d'une longue tunique bleue, et vous n'aurez aucun mal à vous la représenter comme la Madone, et si vous l'avez embarquée, riche idée, en compagnie de l'homme à la hache, rien de plus facile que de voir en ce dernier le charpentier des Évangiles, le bon Joseph, le chaste époux de Marie : autant dire que vous avez sous la main le couple des Saintes Écritures, ne manque au tableau qu'un paysage de neige, un bout de grange appelé "crèche", et pour peu que vous ayez une patience au moins égale à celle, de nos jours, de ces résiduels individus que l'on nomme, peut-être par antiphrase, "auto-stoppeurs", il ne vous reste qu'à vous en armer pour commencer d'attendre devant la "crèche", sous une neige qui tombe drue et, par suite du refroidissement climatique, n'est pas près de cesser de tomber, la venue parmi nous de celui que l'on nommait jadis le Messie, le Sauveur, le Rédempteur, ou encore le Fils de l'Homme tout en vous statufiant en un pérenne bonhomme de neige.
Un article de Jean-Claude Perrier dans Livres Hebdo
Boîte à malices
C'est un peu comme ces boîtes à gâteaux en fer où les enfants conservaient les images qui leur tombaient sous la main. Comme s'il se lançait à la recherche de ce temps perdu, le proustologue Jacques Géraud a ouvert sa boîte à malices personnelle. La collection Géraud comprend 47 documents, photographies, portraits d'hommes célèbres ou reproductions de tableaux, surtout des détails signifiants. Chacun, soigneusement détourné de sa signification d'origine — ainsi, un célèbre cliché de Kafka songeur coiffé d'un chapeau melon transformé en l'histoire d'un essayeur de chapeaux trop petits pour sa tête —, constitue le prétexte pour l'auteur à inventer une microfiction, surréalisante, voire carrément loufoque. Deux thématiques majeures se dégagent de cette entreprise réjouissante : les scènes religieuses montrant le Christ portant sa croix — le voici décrit en surfeur tandis que son illustre Père joue au bilboquet, faisant couler le vin à flots, ou encore en constructeur d'un bungalow suisse en kit ; et les femmes dévêtues : renversée sur une table de repassage, s'exhibant (en imperméable) à deux vieux messieurs dans un jardin public, ou encore, carrément nues devant un corner nude stand. On imagine l'émoi du seul gars présent dans les parages et celui de l'auteur, qui achève son livre sur une évocation du septième ciel. Il y a, parfois, sous la plume de Géraud, des envolées métaphysiques, comme pour sortir de ce labyrinthe de mots où sa phrase, proustienne, « méandrine », dit-il, nous entraîne. Irrévérencieux mais jamais blasphémateur, drôle et érudit, Jacques Géraud se moque aussi au passage de quelques vaches littéraires sacrées : Kafka, on l'a vu, son cher Proust, Hugo, Sartre devenu un clone de E.T. à qui une houri pompe toute l'énergie vitale, ou encore Duras en manteau typographique, un régal. ******************
Un article sur l'Alamblog, le blog d'Éric Dussert, le Préfet maritime, 15 février 2015 http://www.lekti-ecriture.com/blogs/alamblog/ Article à retrouver dans le numéro 162, avril 2015, du Matricule des Anges Tables, autels, coffres et autres femmes nues
Jacques Géraud appartient à cette catégorie d'auteurs
qui a compris que le siècle XXI, et depuis quelques décennies (sic),
n'est pas celui du gros roman qui fâche. Avec les fragmenteurs, les
collagistes et les aphoristiciens, il tente d'autres voies, et en
particulier celles, multiples, du détournement, en dérapage contrôlé,
et, dans une saine irrévérence, du plasticage des statues. Semblables
aux fruits de son blog Géronimots, ses écrits corroborent l'idée que le
billet de blog produit des livres fameux. Pour peu qu'on investisse dans
les coffres, les tables à repasser ou les voitures et que l'on dispose
de quelques femmes nues.
Dans son "photoroman", et un peu à la manière du gourmand Pierre
Desproges légendant sans fin une sempiternelle scène, Jacques Géraud a
choisi quarante-sept images — photographies et reproductions d’œuvres —
qui lui ont inspiré autant d'historiettes plaisantes.
Un certain auteur de la maison Harlequin, qui ressemble à s'y méprendre à
Faulkner, s'y noie dans un bain de sang pour avoir laissé la bride sur
le cou à sa perversité, Sartre y est conduit au mariage avec la Beauvoir
— et accessoirement à remplir à la perfection son rôle de patron de
café —, le Christ y porte sa croix pour rejoindre le spot où il pourra
surfer et Kafka y occupe un poste d'essayeur de melons. Quant à la
Duras... Comment pourra-t-on jamais entraver sa multiplication
nocturne ? se demande Jacques Géraud... Remarquez ce que la question a
de grave.
Le monde littéraire est l'une cible de prédilection de Géraud, qui se
surpasse lorsqu'il est question de papier broché ou relié. L'un des
textes les plus réussis du reste est celui où il peint MM. Bernard et
Georges, employés de la grande maison d'édition, dans l'enthousiasme de
leur tri d'auteur destinés à la "rentrée littéraire" (1) . Vous vouliez
du naturel, en voilà.
Ce "Photoroman en 47 légendes" nous offre une excursion en terre de
malice. Une escapade délicieuse car les finesses et dérèglements de
Géraud procurent vraiment de la joie, et ses longues phrases au loufoque
bien tempéré nous plongent dans un pur délassement.
Qui oserait encore nous bassiner avec un roman à thèse/à l'eau de rose/à l'américaine après ça ?
Jacques GéraudPhotoroman en 47 légendes. — Seyssel, Champ Vallon, 160 pages, 16 €
(1) A tous les apprentis-auteurs : oui, en effet, c'est bien comme ça que cela se passe.
De Sade (1740-1814) on ne connaît qu'un vague portrait en adolescent falot. Man Ray aura voulu combler cette lacune avec ce portrait imaginaire, c'est-à-dire plus vrai que vrai, du marquis de très loin le plus illustre du Gotha, d'ailleurs très imbu de son titre, autant que le duc de Saint-Simon ou le vicomte de Chateaubriand. Habitué des châteaux et plus encore des prisons : trente ans de réclusion sous tous les régimes, royauté, Révolution, Empire, il méritait cette représentation en homme de pierre, sur fond de Bastille et de ciel en feu.
Sous cette statue du Commandeur, mais inverse, on trouvera le lien vers mon article paru hier sur le Huffington Post : Sade, tri sélectif .
Un incident sous le précédent quinquennat Celle qui en ce déjà lointain temps-là était la first lady, comme on dit, et la
troisième épouse de celui qui était, paraît-il, Président, marchait
tranquillement sur le sable quand elle fut accostée par cet individu, le
typique dragueur de plage– Ray
Ban, chaînette en or, fausse Rolex au poignet ? -, que nous voyons désespérément rentrer le
ventre pour mieux allécher la sylphide en petit, tout petit bikini ... Dégoûtée de
la promiscuité imposée par le latin lover,
mais soucieuse d'éviter un esclandre au seul bénéfice des paparazzi, la première dame cherche une parade
en simulant une soudaine migraine, comme une épouse esquive les servitudes du
conjungo. Que le lecteur, toutefois, se rassure, l'incident aura été bref :
quelques secondes à peine après cette scène, qui révolte la pudeur, le triste
sire – dont l'identité n'a pas été révélée – était discrètement entraîné derrière la
dune par les body guards.
Même tardivement divulgué, ce fâcheux épisode risque fort de rester dans la petite
histoire de la République, à l'instar de celui qui vit jadis Publius Claudius
Pulcher, le lovelace romain, s'introduire en catimini dans la demeure du consul
Jules César pour approcher la troisième épouse de celui-ci, Pompeia : il fut
démasqué, l'affaire s'ébruita, que le futur empereur tenta d'étouffer en
formulant le fameux principe : Caesaris
mulier non fit suspecta! La femme de César ne doit pas être soupçonnée!
Sans doute aura-t-on reconnu, en son manoir normand du Mesnil-au-Grain, le fameux Alain Robbe-Grillet, qui sous prétexte de canicule n'a apparemment pas hésité à sommer l'une de ses admiratrices de se mettre nue pour recevoir l'aspersion, non pas de sa semence (dont on sait qu'il n'avait pas coutume d'honorer les dames), mais du jet d'une lance d'arrosage, maniée avec art par cet ingénieur agronome de formation, et grand mécano de l'ingénierie un brin désuète dunouveau roman. Espérons que cet adepte des jeux les plus pervers n'aura fait jaillir, de son instrument, que de l'eau pure (H2O), rafraîchissant la jeune femme sans altérer ses tissus par le fait de quelque diabolique mixture. Mais, peu au fait des us érotiques bizarres du héraut du déjà cité nouveau roman, peut-être est-ce la candide et sculpturale créature qui aura voulu s'offrir à lui, et dévêtue en un tour de main elle marchait vers le bonhomme qui reculait, reculait, jusqu'à se trouver le dos au mur, sans échappatoire, quand sa main trouva le robinet, et comme d'un browning un apache, comme un pompier d'un extincteur elle le vit se saisir de la lance, envoyer le jet à fond tandis qu'en signe de reddition, pour attester ses intentions pacifiques, refroidie elle levait les mains en l'air.
Qui sont ces deux messieurs, qui pourraient-ils bien être sinon, plantés sur le bord du chemin, la mine grave, vêtus de leurs beaux uniformes, qui nous semblent si exotiques, deux agents de la circulation, deux pandores chargés de la surveiller ou de la réguler, d'où la lourde canne ostensiblement tenue dans la main de l'un des deux fonctionnaires, tel le bâton blanc des agents de chez nous, et pouvant si besoin faire office, elle aussi, de matraque? Mais admirons, surtout, l'ingénieuse conception de ces capes règlementaires, imprimées de haut en bas de tout un réseau de lignes et de signes qui, à l'évidence, en font de véritables cartes routières, fort utiles au voyageur égaré, s'il les consulte à même l'uniforme de nos deux agents, pour le remettre dans le droit chemin, ou le fourvoyer davantage par suite des subtiles différences qu'il lira ou croira lire dans les deux représentations d'un même réseau de routes et de chemins ... Et tandis que l'un de ces messieurs regarde droit devant soi, comme pour mieux inviter le voyageur à venir s'informer sur place, son compère baisse la tête : c'est pour rire sous cape, sourire sous capuche, à la seule pensée de ces errances réitérées que les dissemblances des deux cartes vont, fatalement, promouvoir, encore heureux qu'ils en soient les pivots, voyant revenir vers eux, à intervalles variables, les égarés qui ne voient de salut que dans une énième consultation des deux cartographies.
Cette jeune femme, même si elle eut, sans doute, dans un premier temps, quelque difficulté à reconnaître, en la personne de ce thon, son amant métamorphosé, loin d'en faire tout un plat aura eu l'esprit assez ouvert pour lui conserver son affection, sa tendresse, jusqu'à son désir que nous devinons intact sur cette émouvante image. Non seulement elle se garda, au matin de la métamorphose, de réprobativement s'envelopper dans les draps du lit où maintes fois déjà ils s'étaient aimés, mais elle le laissa venir sur elle, elle l'attira entre ses jambes, et dans l'oeil rond du bon gros thon, ou sur sa bouche aux lèvres (si lèvres il y a) très doucement décloses, nous lisons l'expression d'une gratitude éperdue, et la confiance que leur couple aura bientôt tout à fait accommodé au changement des paramètres. Et qui sait si pour sa part la jeune femme n'en est pas déjà à rêver, dans le clair-obscur de sa conscience, aux suites de cette union, lorsque dans neuf mois ... A moins que le fruit n'en soit nullement l'expansion de leur duo en une triade, mais tout au contraire sa, pour ainsi dire, reductio ad unum, si pour s'être trop entrefrottés les deux amants en venaient à ne plus faire qu'un, mi-chair mi-poisson, jeté sur la grève, immobile, et presque déjà résigné à laisser pourrir la situation.
Tel individu, mu par quelque obscur désir de rompre avec l'ordinaire de ses jours, au sortir d'un rêve agité se trouvera mué en quelque énorme insecte innommable, et ça fera toute une histoire ! De même, sur notre document, celui qui avant d'épouser la mer sous la forme poisson - et quel ! -, était l'époux de cette dame, aux airs d'amazone farouche, nouvelle Antiope ou Penthésilée, quand avec ce saut brusque dans une autre espèce il crut pouvoir mettre, entre madame son épouse et sa personne ainsi renouvelée, une distance infranchissable ... Que ne se fit-il plutôt oiseau! Grand oiseau volant très haut dans le ciel, genre grue cendrée, oie sauvage, albatros, mais la guerrière épouse abandonnée eût sans doute réussi, épaulant une puissante carabine, à truffer de plombs la créature emplumée, avant de fièrement poser aux côtés du trophée céleste, comme auprès de celui qu'elle tira des océans. Et ce n'est pas tout, car il n'est pas impossible qu'elle ait déjà formé le projet de rapatrier sa monstrueuse prise, dûment naturalisée, entre les flancs du cottage derechef conjugal, et même de l'installer dans le lit matrimonial, jusqu'à tant qu'un beau matin, pour peu qu'à la faveur de la nuit ce corps énorme ait encore et encore, sait-on jamais, augmenté ses proportions, il en vienne à briser comme un oeuf les parois de la bicoque, avant de rouler dans la pente, jusqu'au rivage, jusqu'à la mer, où peut-être, retrouvant cet élément, il reprendra vie, roulant avec bonheur dans les vagues, expulsant des geysers par ses évents, imprenable à la plus forte canne à pêche et, nouveau Moby Dick, défiant le harpon des baleiniers.
Ces deux conjoints, même post mortem, se font la tête! Madame, qui sur ce cruel document nous fait face, semble décidée à n'en jamais finir de remâcher les vieux griefs (frustration sexuelle, niveau de vie médiocre, routine, ennui, nous devinons, même, que si elle pouvait elle s'arracherait, de rage, son collier déjà tout distordu) ; quant à monsieur, il n'aura pas hésité un instant à froidement tourner le dos à la compagne de sa vie, préférant appuyer son pariétal contre la paroi, à croire que, de désespoir, il voudrait s'y fracasser le crâne. Et ce ne sont pas les jolis coquillages qu'une bienveillante main, et par trop candide, aura cru bon de déposer à leurs pieds, comme pour rappeler les jeux de l'enfance, ou donner au décor un aspect plus riant, qui suffiraient à conjurer le spleen définitif qui s'est abattu. On aurait presque envie de leur faire lecture, à tous les deux, non pas des vaines prières prétendument adaptées à leur état, mais de la sublime page finale de ce roman gothique du père Hugo, rachetant à elle seule tout le fatras narratif qui précède, où le mystique Quasimodo, amoureux éperdu de sa belle, descend en secret dans le peu avenant charnier de Montfaucon, pour y étreindre Esméralda, qui le jour même a été pendue ... : et ainsi trouvera-t-on les deux corps, deux ans après, devenus deux squelettes, l'un embrassant l'autre, et "quand on voulut le détacher du squelette qu'il embrassait, il tomba en poussière".
Les jeunes lisent de moins en moins. "Lire, unplaisir de vieux?", s'interrogeait récemment l'Express : et
pour cause, si l'on en croit la grande enquête qui vient tout juste de sortir : Lire ou ne pas lire? (Éditions Scientix, 451 pages, 28 euros), menée sous la double égide de l'Institut de Supersociologie
Inter-Âges (ISIA) et de l'Académie de Néomédecine (ANM), aboutissant à cette conclusion sans appel : "La lecture vieillit le
lecteur." C'est ainsi que les "grands lecteurs" (1 à 2 livres par an) font jusqu'à vingt ans
de plus que leur âge, à trente ans on pourrait leur en donner cinquante à force de rides et de
cheveux gris. Les "lecteurs moyens"
(1 livre tous les trois ans) ne sont pas épargnés qui, à tout âge, paraissent "sensiblement plus vieux"
que les "petits lecteurs"
(1 livre par décennie), a fortiori que les "non-lecteurs" (aucun livre, jamais). D'où la recommandation
formulée par l'ISIA et l'ANM, soucieux de préserver la santé physique et
mentale de nos concitoyens, d'aller "prudemment mais fermement" vers l'extinction des livres. Les enquêteurs saluent le remarquable "progrès sémantique" que représente "la substitution de l'appellation moderne de "médiathèque" à
celle, obsolète et délétère, de "bibliothèque". De même ces experts encouragent-ils la généralisation du concept de "document", qui leur paraît de nature à promouvoir l'effacement du
mot "livre". Et s'il est vrai que "du mot à la chose il n'y a qu'un
pas", comme l'écrit le professeur Fahrenheit, maître d'oeuvre de l'enquête, c'est avec un optimisme raisonné qu'il énonce, au bas de la page 451, le mot de la fin : "Délivrons-nous !"
Cet homme est amer, qui aura voulu profiter des soldes pour, cassant sa tire-lire, s'offrir un beau foulard blanc, et n'a pas osé le nouer autour de son cou, ravagé qu'il est, maintenant, par la conscience du contraste entre cet ornement presque mondain et la misère de ses nippes, issues des entrepôts d'Emmaüs ou du Secours populaire ... Ou bien serait-ce que le piquet qui se dresse dans son dos faisait armature à l'épouvantail qu'au printemps dernier il avait mis en place, et revêtu de ces mêmes vieux habits qu'il vient de lui reprendre, pour endurer l'hiver,après avoir passé l'été et les débuts de l'automne en caleçon sous l'unique pommier de son malingre jardinet, à mordre sans joie dans des reinettes aigrelettes, ridées, crevassées comme son front, tout en griffonnant sur un vieux cahier d'écolier des phrases rageuses, hachées par les hampes des points d'exclamations (!) et les rafales de ces trois points (...) qui sur ses écritures tombent comme à Gravelotte, tout comme, à la fin de la saison, tombaient sur lui, sans qu'il essayât de s'en parer, les petites pommes desséchées ou en partie pourries, dont il eût peut-être souhaité que, tombant, elles multipliassent, assez pour avoir de quoi lui composer un tumulus, comme un antique roitelet, à la base duquel ne dépasseraient plus que ses godasses, si vilaines, si amochées que les chemineaux qui longent, quelquefois, le grillage, ne voudraient pas les avoir aux pieds.
La mine effarée de cette jeune femme nous en dit assez long sur les ravages causés par la lecture de son Financial Times, s'ajoutant à ses récents déboires boursiers dont sa tenue vestimentaire est l'éloquente illustration, réduite au port de ses élégants escarpins, et tout le reste est parti dans quelque fripe ... Il est à craindre, hélas, que ces vestiges d'une défunte splendeur n'aient à prendre sous peu le même chemin, et la malheureuse, si elle se résout à mettre le nez dehors, n'aura plus que son Financial Times pour tenter de s'en faire, mariant les pages blanches et celles saumon, une vêture minimale. Espérons que les feuillets du célèbre quotidien seront assez nombreux pour qu'agrafés les uns aux autres ils aient de quoi la garantir contre tout attentat à la pudeur, sinon la préserver de l'attention passionnée de nombre de messieurs qui, sur les trottoirs de Wall Street à Manhattan, ou du Loop à Chicago, ou de la City de Londres, n'auront pas manqué de s'approcher et voyez-les le nez collé aux froufroutantes pages, par devant, par derrière, en haut, en bas, sur les côtés, dévorant des lambeaux d'articles du Financial Times avec un zèle encore jamais vu dans aucun bureau ou cabinet de courtier, trader, broker, avocat d'affaires, agent de change, pouvant même aller jusqu'à se traîner aux pieds de cette dame pour déchiffrer, sur les bandes de papier imprimé dont elle s'est fait des sortes de babouches, les plus absconses colonnes de chiffres, tronquées, et les plus abstraits fragments de graphiques ou de courbes montrant l'évolution des prix du pétrole ou de tel minerai même peu connu dont jusqu'à ce jour ils s'insouciaient.
Nonobstant sa posture relax, cet homme attendait trop, beaucoup trop de la lecture de son roman de gare, genre Musso, genre Levy (respectivement 18 et 33 millions d'exemplaires vendus en 36 et 40 langues), il mettait trop d'intensité dans son rapport aux signes, lesquels, évidemment, n'auront pas tenu le choc et les voici qui apeurés, désemparés, décrochent, dévalent, tombent en poudre sur la personne même du lecteur qui, semble-t-il, n'en continue pas moins son affrontement avec le périssable objet livresque, comme s'il ne désespérait pas tout à fait d'un regain, d'une reprise, d'une plus honorable tenue des signes, des millions de signes de son page turner, comme on dit en Amérique : il est à craindre, hélas, que s'il persiste à les tourner, les pages, le processus ne fera que s'aggraver, le malheureux bouquin que se désimprimer avec toujours plus d'élan, presque d'enthousiasme, si l'on nous permet cet animisme, à choir en noire poudreuse avalanche sur l'imprudent ou l'inconséquent lecteur qui, si encore et encore il s'obstine, s'il ne veut pas voir ce qu'il en est de ce work in progress dont son attente excessive aura été la cause, pourrait bien finir par se retrouver, non plus saupoudré, mais littéralement enfoui sous les millions ou les milliards de noirs petits signes qui peut-être, à la faveur de leur chute, comme par l'effet d'un sournois clinamen, s'entraccrochaient et, de là, multipliaient jusqu'à produire cette chape noire recouvrant notre homme tout entier sauf, par l'effet d'un sursaut ultime, son bras levé comme celui de la Liberté, brandissant au-dessus du noir amas, non pas un flambeau, mais un livre, mais blanc : un livre tout blanc, aux pages toutes blanches tel un défi pour quelque horrible travailleur qui viendrait à se présenter.
Triste effet de la crise économique, ou de la crise des
valeurs ? Jeunisme aggravé ? Exploit sportif ? Effort pathétique pour jouer les
racailles ? pour séduire la demoiselle présente au second plan ? Autant de questions
que l’on est en droit se poser concernant ce cadre moyen, propre sur lui,
costume-cravate, lunettes d'écaille, chaussures cirées, cheveux bien peignés, qui mu par
la nécessité, l'intérêt, le défi ou le vice, vient d’être shooté en plein
franchissement frauduleux d’un portillon du métropolitain !
Rassurons-nous : à peine retombé tout fiérot sur ses pieds, l'homme était
cueilli par une escouade de contrôleurs de la RATP, et il a fini la soirée au
poste. Selon notre informateur au commissariat central du VIIIème arrondissement,
il s’agirait d’un déséquilibré, a priori inoffensif, tout juste sorti de Sainte-Anne. Il clamait
devant les poulets rigolards qu’il entrerait un jour ... "à l’Élysée par la grande porte » (sic) ,
d’où cette réflexion de notre ami le Dr. Lepoulain, psychiatre, psychanalyste, voyant dans le portillon frauduleusement franchi par l'énergumène «l’augure pour ainsi dire obstétricalde cette fameuse « grande porte » ; et d’ajouter que de l’Asile à
l’Élysée il n’y a lexicalement qu’un pas, en forme
de quasi anagramme ... Laissons à cet exégète la responsabilité de ses propos, mais n’oublions
pas de civiquement composter notre ticket de métro, tel celui que la mode
prescrit sur le mont de Vénus, s’il n’est pas razibus, de nos compagnes.
Sur cette photo (floutée pour respecter l'anonymat), une belle et saine et nombreuse famille française nous regarde, d'un excellent standing, composée d'une fratrie de huit enfants sagement échelonnés à la gauche de leurs deux parents : un papa, une maman, immémoriale cellule reproductrice, aux antipodes du postmoderne mariage pour tous. A l'autre bout, une jeune femme dont tout suggère le statut de "nounou", même s'il n'est pas interdit de risquer l'hypothèse que ce document sociétal, moins vintage que futuriste, pourrait aussi bien illustrer le devenir de la famille française, dans la perspective, tout récemment déclarée ouverte par le prophète national Michel, d'une islamisation modérée incluant la polygamie : auquel cas, aux deux extrémités nous aurions l'une et l'autre épouse du chef de famille, en tailleur strict la plus ancienne, première ensemencée, qui porta les cinq aînés de la fratrie, au bord opposé la deuxième, beaucoup plus jeune, qui a déjà à son actif les trois petites, et peut-être n'en est-ce pas fini, ni de ses fonctions reproductrices, ni du chiffre des épouses : une troisième serait la bienvenue, éventuellement suivie d'une quatrième, agrandissant le cercle familial, allongeant la chaîne sans toutefois atteindre aux 9 épouses, 15 fils, 20 filles du feu roi Abdallah ben Abdelaziz al-Saoud (1924-2015), lui-même 10ème fils d'Abdelaziz ben Abderrahman al-Saoud (1880-1953), fondateur de la dynastie et possesseur de 32 épouses, 53 fils, 36 filles : 32 épouses accaparées par Sa Majesté saoudienne, et plus modestement 9 par le royal fiston Abdallah. Arrive fatalement le niveau, en dégringolant la pyramide des classes sociales, où statistiquement il y a zéro épouse putative, sauf à en importer en masse, et assécher ailleurs le marché du conjungo. Restent les putes, ou l'option homo, normalement punie de mort par l'islam. Mais le nôtre, nous promet Michel, sera modéré.
A l'instar du bon saint Martin, qui déchira son manteau pour revêtir de l'une des deux moitiés un mendiant grelottant, l'homme que voici n'a pas hésité à donner toute la partie gauche de son veston à un SDF, dont la détresse l'avait bouleversé. Il est fier de faire état d'une si belle action en arborant devant les caméras le demi-veston qui lui reste. Demain, si l'occasion se présente, il donnera la moitié de son pantalon, après-demain la moitié des quelque 100.000, 200.000, 250.000 $ rétribuant l'une de ces causeries dont, il y a quelques jours à peine, il régalait un parterre d'émirs pétroliers et de businessmen, à Abu Dhabi,sans abuser de leur portefeuille ni de leur intellect. Si besoin, il pourrait aller jusqu'à redonner à la République la moitié des quelque 2 millions d'euros dont annuellement elle le gave, en sa qualité d'ancien monarque élyséen. Mais il y a mieux, si la rumeur n'est pas infondée qui nous assure, la chose dût-elle sembler incroyable, qu'il serait disposé à faire don de la totalité de sa personne à la France!
A peu de temps de là, dégoûtés de la théologie, mais se remémorant leurs lectures de la Genèse, l'idée leur vint de créer un zoom ! Voyons grand! disait Bouvard, et dans l'instant ils jetèrent sur le papier les linéaments de ce projet mirifique. Il faudrait d'abord se procurer un couple de chaque espèce, comme Noé dans son arche, ou du moins de toutes les espèces qu'on pourrait. Et les deux amis voyaient déjà venir vers eux les couples d'hippopotames, de kangourous, d'orangs-outans, il y aurait même un couple de girafes, sans omettre toutefois des spécimens bien de chez nous, vaches, cochons, moutons, brebis. Encore que, s'agissant des ovidés, Bouvard n'était pas sans craindre - surtout depuis qu'ils s'étaient passé sur leur projecteur super 8 un certain film du comique américain Woody Allen -, que le pauvre Pécuchet, à défaut d'avoir jamais connu la femme, n'eût un tel émoi à la vue de Dolly, pour l'appeler ainsi, que lui aussi, comme dans Everything You Always Wanted to Know About ... Mais après tout, tirant de ce mal moral (en était-ce un? qu'en dirait Kant? qu'en dirait Nietzsche?) l'espérance d'un bien, peut-être la frauduleuse invasion de l'utérus de Dolly par les gamètes de Pécuchet permettrait-elle la naissance d'un être hybride, une chimère, un monstre, la tête de Pécuchet sur le corps de Dolly, ou l'inverse, nouveau centaure ou minotaure mais qu'il serait, hélas, plus prudent de sacrifier, en haut d'une colline, comme Abraham Isaac si l'Éternel n'eût retenu le bras du patriarche, comme on le voit sur une toile du Caravage ... Et secouant la tête, comme au sortir d'un rêve, Bouvard dit à Pécuchet que, foin du zoologique, tournons-nous plutôt vers ... l'Esthétique! Oui! s'exclama son ami, allons en Italie, pour visiter les muséums, pour découvrir la Renaissance!
Heureux bénéficiaires du mariage
pour tous, ces deux messieurs, pareillement ornés d’une splendide barbe
blanche de père Noël, les voici en effet papas pour avoir trouvé au pied de
leur cheminée le beau bébé que nous voyons ici à leur côté, agrémenté d’une
seyante barbichette et arborant un regard résolu qui ne saurait se porter que
vers un avenir radieux ! Souhaitons aux heureux parents de judicieusement
guider leur fiston vers ces temps futurs où, quand ils ne
seront plus là, affermi par la bonne et forte éducation reçue au sein d’un foyer aimant,
peut-être aura-t-il à faire la démonstration de l’implacable énergie que nous
lisons à mêmes ses traits déjà virils. Si les intérêts
supérieurs du peuple, de la nation, de l’humanité venaient à l'exiger, nous serions prêts à parier qu'il saura marcher sans dévier de sa route, fût-ce sur un lac de sang, comme
jadis le Nazaréen allait d’un pas léger sur les eaux limpides de la mer de Galilée.
Peut-être n'a-t-on pas (pas encore?) oublié la verte baudruche du colossal Tree érigé en décembre dernier sur la luxueuse place Vendôme, à Paris, par le célèbre artiste-contemporain Paul McCarthy, avant que des vandales ne le dégonflassent (1), au motif que leur esprit halluciné exigeait qu'ils y vissent - objet inconnu de la plupart de nos concitoyens - la représentation d'un gigantesque ... anal plug ! De même le jeune illuminé Arthur Rimbaudnous déclarait-il sans rire, dans sa démente Saison en enfer : "Je voyais très franchement une mosquée à la place d'une usine" (sic).Or voici qu'au plus profond de nos saines campagnes françaises, discrètement mais nettement imprimé sur le flanc de ce bon vieux "tube" Citroën, il revient, il revient le Tree de notre artiste contemporain, nommément désigné dans ce "SPAR" en grosses lettres qui, en néerlandais, signifie "Arbre". Et ni ce couple de ruraux de retour des champs à bord de son tracteur, ni ce trio de villageoises (dont l'une est coiffée du "tchador", en hommage, sans doute, au best-seller Soumission ?), n'en sont aucunement effrayés, tout ce petit monde visiblement tout heureux, au contraire, de recevoir au pays la visite du galeriste ambulant (nous l'entrevoyons dans sa camionnette) qui va leur débiter, non pas de la charcuterie industrielle de marque Olida ou Paul Prédeau, mais des cochonneries en chocolat griffées ... Paul McCarthy ! (1) Géronimots 17 décembre 2014
"Cher Nicolas, très brièvement et respectueusement",
1) Je suis à tes côtés pour te servir et servir tes projets pour la France.
2) J'ai fait de mon mieux et j'ai pu échouer périodiquement. Je t'en demande pardon.
3) Je n'ai pas d'ambitions politiques personnelles et je n'ai pas le désir de devenir une ambitieuse servile comme nombre de ceux qui t'entourent dont la loyauté est parfois récente et parfois peu durable.
4) Utilise-moi pendant le temps qui te convient et convient à ton action et à ton casting.
5) Si tu m'utilises, j'ai besoin de toi comme guide et comme soutien : sans guide, je risque d'être inefficace, sans soutien je risque d'être peu crédible. Avec mon immense admiration. Christine L." (Lettre manuscrite trouvée par les enquêteurs lors d'une perquisition le 20 mars 2013 au domicile parisien de "Christine L.")
Cette senior aux cheveux blancs, le cou orné d'un collier de perles vraies ou fausses, acheté dans quelque manège aux bijoux implanté dans le hall d'un hypermarché, s'étant mise sur son trente-et-un aura voulu - geste émouvant - murmurer à l'oreille d'un certain "Nicolas" le texte, écrit de sa main, que nous avons pu reproduire ci-dessus. Malheureusement, plus grande que "Nicolas" d'une bonne dizaine de centimètres, "Christine L." a dû se pencher pour être à bonne hauteur, sauf qu'ayant mal calculé son coup ses murmurantes lèvres se sont retrouvées beaucoup trop bas, littéralement collées à la joue de "Nicolas", et nous voyons l'oeil de cette dame énamourée guigner désespérément l'oreille dans l'entonnoir de laquelle le message devait s'épancher ... Il faut espérer que le défaut de ce dispositif n'aura pas empêché le destinataire d'une si touchante déclaration de percevoir, issus des lèvres confuses, car mal ajustées, quelques uns des signifiants majeurs de son dire : "respectueusement", "te servir", "servir", "pardon", "utilise-moi", "soutien", "guide", "admiration", pour que tel Sir Stephen à sa soumise "O", dans le laborieux roman écrit sous le pseudo de Pauline Réage, et la férule de Jean Paulhan, par sa compagne Dominique Aury (du latin auris, "oreille"), il daigne au moins infliger à "L." un petit début de sévices, tels que gifles, pinçons, suçons, cheveux méchamment tirés ... Et la la pauvrette, alors, ne repartira pas bredouille, mais radieuse d'avoir reçu les premiers stigmates de sa domestication.