Géronimots XXI

mercredi 31 décembre 2014

ECCE HOMARD

                                                           

Le fameux Victor Hugo vient de me convier au réveillon du nouvel an en sa demeure de Hauteville House à Guernesey ! Comment ne serais-je pas flatté de partager le pain et le sel et maintes bonnes choses avec le Grand Proscrit? N'empêche, je ne suis pas trop rassuré, non que je redoute, encore que, de le voir se lever et, un peu pompette, monter sur la grande table pour  déclamer à ses commensaux les deux ou trois cents alexandrins jaillis à l’instant de son cerveau poétique surdimensionné et continûment sous-pression, car il y a pire : je sais que le grand homme se targue de manger, non seulement les oranges avec leur peau, mais le homard avec sa carapace, alors ne va-t-il pas, m'avisant qui me fais tout petit à mon coin de table, me défier de l'imiter dans cet exploit ? A moins que cette fois ça ne lui soit fatal, la carapace ne passe pas, et voici notre Victor national et mondial qui soudain se dresse, apoplectique, pourpre, cramoisi, et d'un coup il a roulé sous la table, mais qui sait si ce n’est pas un tour de magie de son invention, qui sait si soulevant timidement la grande nappe nous n’allons pas le retrouver … homard !!! Rouge énorme homard, homard si monstrueux qu'il est aussi grand, aussi large que la lourde table sur laquelle nous allons, oh hisse, le monter et le déposer, et déjà nos solides pinces et autres longues fourchettes se fichent dans la  cuirasse, comme d'un reître du moyen-âge, et dans la grande salle à manger gothique de Hauteville House, aux lourds fauteuils armoriés d’un H, l'on n'entend plus que les bruits pour ainsi dire telluriques du craquement et du soulèvement, sous l'action conjuguée de nos instruments, sur quoi nous pesons de toutes nos forces, de l'énorme manteau pourpre, suivis de ceux de la manducation de la chair, blanchâtre et savoureuse, de ce mets fabuleux que nous ingérons non sans béatitude et dont nous escomptons qu'il aura de quoi nous communiquer un quelque chose du génie épique et poétique que le glorieux auteur avait reçu en partage, de quoi nous mettre à l'œuvre dès demain, autour de la grande table débarrassée des reliefs, mordillant le bout de nos plumes et les faisant courir sur la prometteuse page qui s'offre à nous en ce premier jour de l'an nouveau.










mardi 30 décembre 2014

LA DS DU GÉNÉRAL

                                           

J'ai décidé de m'acheter une DS 19, d'occase, évidemment. Il paraît que c'était la voiture officielle de ce vieux Président, très grand, dans les deux mètres, comment faisait-il pour s'y enfourner, mystère, surtout qu'en sa qualité de Général il était astreint au port du képi règlementaire, dont le fond devait toucher le plafond du véhicule ... J'aurais bien aimé être son chauffeur, au Général, slalomant au volant de la DS sur les routes de montagne, avec le vieux dans mon dos, qui tripote  son révolver. Souvent, dit-on, il baissait la vitre pour faire des cartons, pas sur les gens, ni sur les bêtes, mais sur des morceaux de tôle et ça faisait bling-bling, non,  je confonds avec un autre Président, un petit, tout petit, plus tard. Mais ça m'aurait plu de monter des cols, toujours plus haut, avec cette belle auto à suspension hydropneumatique, fût-ce dans le brouillard et jusque dans les nuages, même qu'atteignant le col on décollerait pour naviguer, non pas sur un volcan, comme le char de l'État, mais sur la mer de nuages, comme dans de la barbe à papa et à un moment on y enfoncerait pour, désormais, continuer la croisière en glissant sans bruit au sein de cette moelleuse blancheur où la DS, va savoir pourquoi, tendrait à se dissoudre, et pareil le vieux, ou alors il est tombé dans les blanches épaisseurs où, désormais, comme Diogène cherchant un homme, je le rechercherai, mais sans aucune lanterne à la main, tâtonnant dans la nue et ne rencontrant rien sauf, peut-être, deux étoiles qui brillent et c'est le képi du vieux, que je coifferai pour arpenter en cet appareil les vaporeuses immensités comme si j'étais le gardien de ce domaine surnaturel.


lundi 29 décembre 2014

L'AMPÈRE ÉTERNEL


                                              RDV aujourd'hui sur le site  
                            Vents Contraires  (ventscontraires.net) 
                la revue collaborative du Théâtre du Rond-Point
                      (Jacques Géraud Vents Contraires)















dimanche 28 décembre 2014

BLOODY MAMA


 Dans l'idée de se payer du bon temps l'espace d'une nuit, assez mouvementée pour faire une encoche dans sa mémoire, cette brave dame a vidé sa tire-lire pour s'offrir, dans une agence ad hoc, les services d'un lot choisi de jeunes gens des deux sexes. Spéculant, qui plus est, sur l’opulence de ses appas, elle escomptait un meilleur succès que la reine Phèdre avec son chaste beau-fils, Hippolyte, et à l’instar d’une Jennifer Coolidge ou d’une Pamela Anderson, se voyait à l'orée de l'honorable statut de MILF, Mother I’d Like to Fuck ... Or voici que la partie dont elle se faisait une joie semble des plus compromises, si nous en croyons l'attitude de ses partenaires putatifs, assez insoucieux de son abondante personne pour lui avoir tout bonnement tourné le dos et, hilares, n’adresser leurs regards qu’à la rue où nul doute que circulent, dans la nuit chaude, de bien plus fabuleuses bêtes de sexe. Même, trahissant le contrat qui les lie avec la cougar déconfite, qu'ils aient déjà pris langue avec quelque autre petit groupe aussi festif, aussi lascif, et c’en sera fini des vagues espérances que la bonne dame nourrit peut-être encore en son sein romantique. Que ces jeunes gens toutefois prennent garde qu’entre gloss, mascara, lubrifiants et sex-toys, elle n’ait pas fourré dans son sac un calibre, Astra, Beretta ou Glock, pour soudainement les braquer, et de l’étoile, cible idéale,  qui luit dans le dos de nos jeunots exubérants et paillards, il va gicler un sang vermeil, de quoi redonner des couleurs, penchée au-dessus des pauvres corps, avant que les cops ne l’embarquent, à notre Bloody Mama.

samedi 27 décembre 2014

LA SÉANCE


Nombre de nos lecteurs auront à coup sûr déjà identifié, sur ce  document unique enfin extrait des archives de l'Université de Harvard, laquelle l'avait acheté à prix d'or à un collectionneur qatari, le célèbre cabinet du regretté docteur Lacan, conservé en l’état et dont le précieux divan est d’autant plus la pièce majeure qu’il règne sans partage en ce lieu sobre et même nu, latéralement éclairé par la lumière du jour. Ne manque que le fauteuil où trônait le Maître du temps qu’il laissait venir à lui la foule de ses patients pour ces fameuses séances de, tout au plus, deux à trois minutes. Certains, et non des moindres, de ces  anciens du 5 rue de Lille, la prestigieuse adresse où officiait le Maître, nous ont même évoqué de si fulgurantes séances qu’à peine allongés ils se retrouvaient debout, non que le Maître, sommeillant au creux de son fauteuil sombre, le leur eût expressément intimé, mais sans doute était-ce son divan, à nul autre pareil, qui avait cette vertu d’instantanéité, d’autant plus utile que dans le couloir donnant sur le cabinet il n’était pas rare que dussent stationner, debout, à la queue le leu, des dizaines et des dizaines de patients, qui savaient qu’ils auraient à se ruer et pour ainsi dire à plonger sur le divan de sorte à s’y recevoir sur le dos, avec suffisamment de vivacité pour obtenir de la réaction mécanique des vieux ressorts, de plus en plus fatigués, l’adjuvant nécessaire à leur rebond immédiat et à leur retour à la verticale, préludant à leur sortie elle-même concomitante à l’entrée en lice, en principe non moins prompte, plongeante et retournante, du patient suivant. Le Maître, ajoutent-ils, prisait fort la bonne effectuation de cette gymnastique sui generis, objet d’un entraînement assidu des patients, chez eux, entre deux séances, pour s’éviter la honte de la rater, et l’éviction peut-être définitive qui s'ensuivrait, quand au contraire l’on était  à peu près sûr qu’une bonne séquence, synonyme d’une bonne séance : Propulsion-Plongeon-Retournement-Réception-Rebond (codifiée dans la formule cabalistique "PP3R") vous vaudrait, non pas l’acquiescement enthousiaste du Maître, mais ne fût-ce qu'un vague hochement de tête, ou du moins un battement de paupières, un reniflement, un raclement de gorge, bref, tout ce par quoi, si faiblement que ce fût, il se serait extrait un instant de sa léthargie. Certes, nous avouent non sans fierté quelques uns de ces vétérans encore en vie, la réitération quotidienne ou quasi-quotidienne, parfois pluri-quotidienne, de la PP3R durant un nombre d’années indéterminé voire incalculable, ne pouvait se faire sans séquelles, et le fait est que dans tout Saint-Germain-des-Prés et au-delà, jusqu’au boulevard du Montparnasse, on reconnaissait les anciens du 5 rue de Lille à un je ne sais quoi dans la démarche, comme si, même déjà âgés, usés comme les ressorts du divan du 5, ils avaient à faire effort pour réfréner en leur vénérable carcasse le réveil inopinée d’une PP3R latente, sans toujours y parvenir, et la chronique du VIème arrondissement a gardé la mémoire de tel ou tel septuagénaire ou octogénaire semblant soudain s’envoler, tel un personnage de Chagall, rue de Seine, de Buci ou de l’Ancienne Comédie, juste avant de se retrouver gisant sur le pavé puis sur le brancard qui le conduit aux urgences où ne l’aura mené que celle, irrépressible, de reproduire hic et nunc la  glorieuse séquence du 5 rue de Lille.






vendredi 26 décembre 2014

SARTRIRICON & CO

                                                   
 André Martins de Barros Le philosophe


SARTRIRICON  Compendium des fadaises, fariboles, sornettes et autres balivernes épanchées de la bouche oraculaire ou de la plume profuse du plus fameux penseur français depuis René Descartes.
 La maison Gallimard informe ses fidèles lecteurs que la nouvelle édition amplifiée du Sartriricon prendra place dans la Bibliothèque de la Pléiade, dont le papier bible n'a pas été jugé indigne d'accueillir, sur quelque 1200 pages, la somme la plus complète à ce jour des plus désopilantes perles du philosophe germaopratin.

                                                             
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HEILDEGGER  Philosophe sensible aux doctrines du IIIème Reich.
La thèse fait grand bruit outre-Rhin, éloquemment soutenue dans la Süddeutsche Zeitung par le mystérieux collectif AYM (peut-être, dit-on, pour Angry Young Men), selon laquelle l'illustre professeur de l'Université de Freiburg, prophète du Dasein et bon Berger de l'Être, s'il chantonnait doucement, obsessionnellement, cent fois par jour, My heart belongs to DADDY (sa voix montant dans les aigus sur ce mot-clé, se faisant déchirante et quelquefois lui tirant des larmes), c'était un langage secret, codé, paradoxal, puisque anglo-américain, et d'autant plus indéchiffrable, par où il se signifiait à lui-même son allégeance et appartenance au Führer.
   
  

jeudi 25 décembre 2014

FAMILY LIFE


Cette image est un piège, où semblent s'afficher la douceur, la tendresse, l'harmonie intrafamiliale et intergénérationnelle,  et s'épancher le lait de la tendresse humaine, quand il y aurait lieu de s'alarmer du jeu rien moins qu'innocent des mains de la jeune femme brune, la mère des deux enfants, qui pourrait bien se disposer, dans un instant, dès que nous aurons tourné la tête, à littéralement ... dévisser celle chenue de la pauvre aïeule, sa propre mère! Quant aux deux délicieux bambins, leur rôle, établi à l'avance, voire répété en coulisses, ne serait-il pas de faire diversion par les expressions outrées de leur empathie? Et la pauvre vieille mama de tomber dans le panneau, charmée par les gestes, les sourires, éclairant déjà son visage las d'un bon regard, lequel, toutefois, aurait lui aussi de quoi nourrir le soupçon, car est-elle tout à fait dupe? Qui nous dit, même, consciente de l'atout, non de son âge, mais de son imposante masse, qu'ayant déjà pris appui de sa dextre sur le plateau de la table elle ne s'apprête pas à secouer, tel un catcheur usé mais encore solide, tel un Mickey Rourke dans The Wrestler, cette grappe humaine emphatiquement affectueuse qui s'est abattue sur sa personne supposée sans défense? Et il pourrait s'ensuivre un combat furieux et douteux, dont nous laisserons à notre  lecteur le soin de se peindre les péripéties et de supputer l'issue, même d'en faire l'objet d'un pari au sein de son propre cercle de famille, quelle qu'en soit la configuration, mais qu'il n'aille pas se plaindre, après ça, si entre les divers éléments de cette entité ça menace de tourner mal.

mercredi 24 décembre 2014

AGGIORNAMENTO

                                     
                                   
Le pape François  serait sur le point de frapper encore un grand coup, si nous en croyons cette image-choc du Calendrier Pontifical 2015, que nous sommes en mesure de dévoiler à nos fidèles lecteurs. Agenouillées derrière les hublots d'un aéronef - métaphore un peu trop appuyée peut-être de l'envol céleste -, les quatre jeunes personnes que voici étaient abîmées en prière quand le photographe du Saint Siège les shoota, leur laissant tout juste le temps de former sur leurs lèvres aimables, qui ânonnaient les Pater noster qui es in caelis et autres Ave Maria plena gratia, le plus gracieux sourire. "Catholique" signifiant, comme on sait, "universel", l'échantillonnage que nous offre cette "une" du calendrier papal va de la Caucasienne à l'Africaine, en passant par la Latino, ne manque que l'Asiatique, ce sera pour une autre fois. Leurs curieuses coiffes, assorties à leurs vêtures respectives, dont on goûtera le jeu des des couleurs, figurent à l'évidence cette longue paire d'oreilles, mobiles, frétillantes, qui ne seront pas de trop pour capter avec profit la voix divine si  elle consent à s'énoncer tout là-haut. Quant à ce curieux et floconneux appendice qui protubère au bas du dos de nos quatre modèles  - modèles artistiques, modèles de piété -, sa blancheur ne saurait que suggérer la pureté de l'âme, tout en procurant le coussin bien rebondi qui en cas de turbulences atmosphériques ou stratosphériques, ou de renversante vision béatifique, sera des plus utiles à la sauvegarde de leurs délicates anatomies lors d'une méchante chute sur le plancher du véhicule aérien. Les timidités des précédents successeurs de Pierre ne sont décidément plus de saison, avec ce calendrier - encore n'en voyons-nous pas les douze pages intérieures! - qui augure que la refondation de l'Église de Rome ne sera pas remise, une fois de plus, et si la Curie ne freine pas des quatre fers, aux calendes grecques.

mardi 23 décembre 2014

LE CLUB DES CINQ




 Pourquoi diable ces cinq messieurs se sont-ils trouvés réunis sur ce document, doté d'un beau fond rouge sang de boeuf, sinon pour illustrer, par une frise didactique, l’évolution de la capilliculture à travers les âges ? Les deux premiers spécimens de la série semblent flirter avec la gémellité, ornés  de la même épaisse, longue et large barbe, à la manière des patriarches bibliques ou de soi-même l’Éternel. Plus dépouillés, les deux modèles suivants auront eu à se suffire du port d’une simple moustache, qui tendrait à les rapprocher si tels les fameux Dupont et Dupond, les extrémités de l’une n’étaient descendantes, celles de l’autre coquettement relevées en pointe, outre que la boule à zéro du N°3 offre un parfait contraste avec les cheveux drus et implantés fort bas du N°4. Vient enfin, pour clore notre frise historique si instructive, un N°5 qui s’agissant des cheveux représente une subtile synthèse entre le N°3, au crâne aussi nu que le maillot intégralement épilé de nombre de jeunes femmes d’aujourd’hui, et le chevelu N°4, sans compter que le haut du crâne dégarni de ce N°5 ne serait pas sans évoquer la coiffure spéciale d’un Donald Sutherland dans le Casanova de Fellini, auquel on aura voulu  rendre hommage ? Il est, de plus, entièrement glabre : ni barbe, ni moustache, autant dire qu’en notre revue de ce quintette nous serons passés de la plus luxuriante pilosité, asymptotique à l'hirsutisme, à un faciès nu et lisse suggérant, peut-être, la transparence d’une mode ou d’un monde qui n’aurait rien à cacher? Reste qu’au-delà de ces caractéristiques ces cinq messieurs, barbus, moustachus, chauves, dégarnis, glabres, n’ont-ils pas des petites gueules bien sympathiques ? En espérant, toutefois, que par le fait du réchauffement climatique, ou pour quelque mystérieuse raison, tout ce rouge qui les enveloppe n'entreprenne pas, comme en le reliquaire de son ampoule le sang de saint Janvier, de se fluidifier, se liquéfier,  engluant lentement la face placide de nos cinq bonshommes d'une poisseuse nappe rouge qui, outrepassant les limites du cadre, irait s'aggravant en un rouge déluge, inextinguible, que l'on dirait issu d'un immense abattoir. 

lundi 22 décembre 2014

MONUMENTUM

                                                     
                                                    
 C’est donc au cœur de Rome, au prix d’un travail de titan, qu’une forte équipe archéologique internationale vient enfin de mettre à jour ce majestueux monument, en lequel le chef de la mission, le dottore Leopardi, a déclaré qu’il n’était « pas possible de ne pas voir la représentation gigantoforme (sic) d’un sexe féminin ». Et le dottore de développer, dans cette optique, maintes savantes considérations, dont il appert que, « vaginal et vulvaire », l’immense monument, à peu près aussi considérable que le bien connu Coliseum, serait en réalité un temple, bien antérieur, malgré le niveau avancé de son architecture, à ceux consacrés aux « bonnes vieilles divinités » importées et transposées du panthéon grec, « dont nous avons un peu ras la casquette » (re-sic). Le cérémonial, selon Leopardi, était des plus simples : toute la population mâle, pourvu que pubère, était invitée à date fixe par le « crieur public » ( ?) à prendre place sur les gradins, d’où plonger ses yeux sur la piste ou le plancher ovale, « tel un trou noir dont ces dizaines de milliers de messieurs, devenus autant de scrutateurs, étaient en charge de sonder les profondeurs imaginaires, quitte à se perdre dans les excès de cette contemplation. » Même, nous déclarait le péremptoire Leopardi, « il n’est pas exclu que cette civilisation pour ainsi dire gynécoscopique ait sombré par suite de cette hypnose, de cette sidération ». Et de nous représenter tous les mâles à ce point abîmés dans le « regard mystique », que leurs femmes de chair ne leur étaient plus de rien, ils ne les approchaient plus, ne leur adressant pour toute parole qu’un seul et unique mot : Monumentum, et ils allaient au Monument, ils n’en bougeaient plus, elles séchaient sur pied, ou s'éloignaient de la cité pré-romaine pour gagner des lieux moins adonnés au mysticisme de leur sexe. Leopardi, aux dernières nouvelles, ne décollerait plus des gradins supérieurs du Monument, sourd aux supplications fût-ce des plus jolies, des plus sexy archéologues de son équipe qui, pour sa part, ne décolère plus et se dispose à quitter le site, en laissant à son chef jadis révéré des réserves de vivres, tout en doutant qu’il songe, pris dans une autre songerie, à y toucher jamais.

dimanche 21 décembre 2014

ASTHMOSPHÈRE

                                                                                                                                    
                                    

ASTHMOSPHÈRE n.f. couche d'air délétère.
L'asthmosphère de Prague ne valait rien à ce pauvre Franz. Vingt fois par jour, cent fois par nuit il était au bord de l'étouffement. Il ne rêvait que de partir pour l'Italie, de se dorer tout nu au soleil sur les plages, non sans redouter que l'astre n'eût tôt fait d'embraser son long corps maigre qui, confiait-il à son ami Max Brod, lui semblait, quelquefois, d'un matériau comparable au carton … Et il ne resterait rien de sa dégingandée carcasse, rien de rien sinon peut-être la lettre K en quoi, par un étrange prodige, elle se fût résoute, et si bien expansée que d'un bout à l'autre de la plage le K immense, inaltérable, reposant sur le sable blanc, gris ou noir,  offrirait sa substance inconnue à l'effort des chimistes qui, à désespérément vouloir l'analyser, y perdraient leur latin, leur grec, et toute leur faible science. 

samedi 20 décembre 2014

POTATOY ou PATATOY

                                           

NÉOFRITE n.m. Belge débutant.

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POTATOY ou PATATOY n.m. Jouet sexuel en forme de pomme de terre.
Longtemps je ne pus comprendre ce que faisait dans le tiroir de la table de nuit de maman, enfoui sous un fatras de périodiques féminins : Les Dames de France, Le Jardin des Modes, La Parisienne Libérée, un objet offrant toute l'apparence d'un banal spécimen de Solanum Tuberosum, l'excellent tubercule introduit sous nos latitudes par Antoine Parmentier. Mais il ne germait pas, n’évoluait pas, je n’osais le toucher, je refermais le tiroir en douceur, pour ne pas ébruiter ma présence, jusqu’à tant qu'un jour, irrité de ce profond mystère, je vinsse à le claquer violemment, et j’allais m’éclipser en toute hâte quand je fus frappé dans le dos, comme par un projectile, par une sorte de grésillement, ou de bourdonnement, et soudain je sus que c’était la chose inconnue qui venait de se mettre en marche, ébranlée par le claquement du tiroir ! Je voulais m’enfuir et j’étais cloué au sol, il me semblait que le bruit était de plus en plus fort et qu’il venait, non pas du tiroir, mais de ... moi, comme si j’avais un moteur à l’intérieur de ma personne, comme si le potatoy ou le patatoy de maman (je ne connus le mot que bien plus tard) était en moi, maintenant, vibrant, grésillant, bourdonnant tellement fort que tout le monde allait l'entendre, toute la maisonnée, mon père, maman, la bonne, et infailliblement guidés par le bruit ils allaient se ruer dans la chambre, se jeter sur moi, me secouer comme un prunier à dessein de faire sortir de moi le bruit alors même que, me disais-je, épouvanté, issu de ce moteur qui était à l’intérieur de moi il - le Bruit ! - faisait peut-être partie de ma personne, maintenant, et m’était consubstantiel et si je ne l’avais plus ce serait ne plus être, si on me l’arrachait c’était comme si on m’enlevait le cœur, et mou comme une chiffe je tomberais sur le lit, sur la couche où dormait maman, plus silencieux, plus inerte qu'un gisant.
                           
                     Marcel Proust A l’ombre du fruit des jeunes gens
                     (Addenda à Proustissimots Éditions Champ Vallon 2013)





vendredi 19 décembre 2014

AVIS DE RECHERCHE



  
Les plus fins limiers de la PJ parisienne sont à la recherche de cet homme qui pose ici dans un jardin public, affectant le genre souffreteux et prenant des airs de penseur à la Rodin pour donner le change sur sa vraie nature de pervers de la pire espèce. S’il s’emmitoufle dans cet ample manteau noir, qui n’est pas sans lui donner l’allure sévère d’un précepteur ou d’un clergyman, c’est pour mieux en écarter les pans quand il voit venir à lui une innocente proie : collégienne naïve, jeune fille en fleurs, adolescent rêveur, et lui imposer sans échappatoire la vision frontale de ce que dérobait sa houppelande, et qui n’est pas la nudité de son corps déjà usé, laquelle serait sans doute un moindre mal, eu égard à l’horreur de ce qu’il leur montre sous la forme et l’aspect d’un effarant ramas de papiers entrecollés lui composant, des épaules aux chevilles, une bruissante couche épithéliale où le dépravé aura trouvé sa deuxième ou, plutôt, sa véritable vêture. Selon les dépositions des nombreuses victimes, terriblement choquées, hagardes, tressautantes et tremblantes, toutes ces feuilles de papier, qui semblent n’en faire qu’une, seraient entièrement recouvertes d’une écriture échevelée dont le déséquilibré voulait leur imposer la pernicieuse et vicieuse lecture : telle une bête gluante, le mot immonde de  Gomorrhe  aurait littéralement sauté au visage virginal de maintes demoiselles, tout comme, à la face boutonneuse de nos malheureux collégiens, l’abomination de celui de Sodome La PJ fait appel à tout témoignage concernant le triste sire qui en plein jour, en public, au cœur de la capitale, viole l’innocence de nos enfants avec la satanique noirceur de ses mots, constellant son habit de papier déjà jauni telles les feuilles, inoffensives et poétiques, dont à l’automne nos jardins sont tapissés.




jeudi 18 décembre 2014

NOLI ME TONGERE


                                                  

NOLI ME TONGERE : Ne touche pas à mes tongs.
Un jour où Jésus lézardait à la plage, sur les riantes rives du lac de Tibériade, entouré de ses disciples et de toute la petite bande, l’une des femmes, qui n’était pas la moins jolie, fit soudainement mine de plonger sur ces espadrilles minimalistes qui lui composaient, eu égard à la douceur de la température, son seul attribut vestimentaire, à la réserve d'un bref chiffon blanc noué à la diable sur ses hanches. Affolé, sans doute, à l’idée qu’elle allait les lui ôter, comme si son heure fût déjà venue de monter dans le simple appareil sur le fameux portique, communément appelé « croix », il énonça sur le ton le plus ferme ce Noli Me Tongere, promis à une fortune universelle, jusque même sur les grands panneaux publicitaires où l’on verrait, beaucoup plus tard, des jeunes gens l’énoncer dans les phylactères pour clamer leur attachement à leurs sandalettes.

                                                                               *
                                                                           *      *

    Un miracle peu connu de Jésus : il changea l’eau en vain.


mercredi 17 décembre 2014

LINCEUL POUR L'ART CONTEMPORAIN




    Le turbulent Paul McCarthy vient de frapper un grand coup place Vendôme, à Paris, en déployant à même le pavé de ce temple du luxe joailler son monumental Linceul pour l’Art Contemporain. MM. Pinault et Arnaud ont déjà sorti le porte-monnaie pour tenter, l’un comme l’autre, l’un contre l’autre, de se porter acquéreurs d’une œuvre qui a déjà commencé de déchaîner les passions et de nourrir les spéculations, non seulement financières, s’il est vrai que les deux milliardaires auraient déjà fait des offres à hauteur de quelque 100 millions d’euros (soit un peu plus du double du Balloon Dog orange de Jeff Koons), mais esthétiques, métaphysiques, sociétales, politiques, théologiques. La révolution verte que semble promettre en ses plis le Linceul ne va pas manquer de froisser maintes frileuses consciences, inquiètes de l’extraordinaire audace, encore qu’énigmatique, de cette grandiose réalisation. Les tenants et fervents les plus optimistes de l’art contemporain se montrent, quant à eux, fous de joie, qui voient dans le Linceul l’enveloppe amniotique de quelque fabuleux Being Beauteous lequel devrait tôt ou tard, déchirant la gangue verdâtre qui l’enclot, paraître au jour. Quant à prédire la durée de la gestation, quant à savoir s’il faudra compter en semaines, en mois, en années, en décennies -  en siècles ? -,  même ceux qui espèrent le plus en cet avènement n’ont garde de proposer un calendrier, se suffisant de laisser entendre qu’ils sont déjà entrés dans l’attente  : « ça durera ce que ça durera », nous confiait un quinquagénaire qui ralliant les croyants les plus résolus se disposait à s’établir dans son sac de couchage à l’angle d’une porte cochère de la place Vendôme, ou au pied d’une vitrine, si la maréchaussée ne l’en chasse pas, aux fins d’entrer dans une léthargie propre à favoriser l’attente, tous ces messieurs bientôt enfouis et presque ensevelis dans leurs sacs dont c’est à peine si nous verrons dépasser leur chef, chauve ou ébouriffé, et sans autres mouvements que ces frémissements nés de leurs rêves quand au travers d’un brouillard verdâtre ils voient le Linceul se secouer, s’agiter, sous l’effort de Celui-là qui finira bien par s’en extraire, et tant pis si à ce moment-là le cercle de nos guetteurs, gisants comme autant de ballots contre les murs, place Vendôme, Paris, depuis bien longtemps ne sont plus en état d’esquisser le moindre geste, de former sur leurs lèvres desséchées la moindre expression, immobiles au fond de leurs individuels linceuls.
               

mardi 16 décembre 2014

HONTEUX DÉTOURNEMENT


L’impudeur, dans notre société postmoderne avancée, n’a décidément plus de freins, plus de bornes, si nous en croyons ce document où nous voyons une distinguée professeure d’un grand lycée parisien s’afficher sans vergogne auprès de ce garçonnet dodu, orné de lunettes de premier de la classe, à moins que tout au contraire ce ne soit un sous-doué, voire un débile léger dont l’enseignante n’aura pas balancé un instant à se faire accompagner dans les rues de la capitale, pour avoir trouvé en lui le candidat idéal à l'emploi de gigolo ! Car ne soyons pas dupes du noble alibi culturel opportunément fourni par la statue de l’écrivain au pied de laquelle pose le couple, comme si la professeure escomptait de cet auguste patronage une bénédiction donnée par avance à ses agissements imminents, lorsque tout soudain, prenant le  pauvret par la main elle va le traîner sans résistance vers quelque hôtel louche où le soumettre à ses désirs, quitte à l’épuiser et le détruire  en le forçant à se prêter à l’assouvissement de vices si hideux qu’ils vont mener le misérable à un tel dégoût de soi qu’il  ira jusqu’à se jeter par la fenêtre ! Mais l’immorale institutrice sera déjà loin, marchant d’un pas allègre sur le boulevard, a-t-elle seulement tourné la tête quand à quelque vingt mètres du site de la débauche fatale elle a entendu le bruit mou du pauvre corps qui s’écrase sur le pavé humide, et n’est plus qu’un cadavre anonyme ?

                               

lundi 15 décembre 2014

GÉNICOLOGUE


                   
                                        


GÉNICOLOGUE n.m. Docteur spécialisé dans la mise au monde des surdoués. 
CARNET ROSE : on nous annonce que MM. les Drs. Jansenius, Arnauld et Nicole, génicologues, lauréats de la Faculté de Médecine de Paris, ont assuré l'heureuse délivrance de la dame Antoinette Pascal, qui vient de mettre au monde un petit Blaise plus que prometteur, de l'avis des trois spécialistes. Penchés tels les rois mages au-dessus de la crèche de l'enfant-Jésus, ils poussaient des cris de joie, joie, pleurs de joie, à la vue  des maintes flatteuses bosses d'ores et déjà lisibles sur le chef du nouveau-né, dont notamment celles de la mathématique, de la physique, de l'astrophysique, de l'hyperlittérature, de la mécanique quantique & tutti-quantique, de la superconductivité, de la transphilosophie, de la turbothéologie et de la chute des corps.


dimanche 14 décembre 2014

LE VICE PUNI



               
                                                       


Photo Burcum Baygut
Certains de nos concitoyens, heureusement de plus en plus rares, ne font aucun effort pour, sinon dépasser, du moins atteindre ou approcher le score national moyen de 3h47 de télévision par jour ! Ainsi cette demoiselle qui au lieu de mollement se poser sur la banquette du salon devant le petit écran – d’ailleurs toujours plus grand, toujours plus chatoyant ! –, aura cru bon de s’installer, solitaire, dans un environnement saturé de livres … Faute de caméra de surveillance, nous ne connaîtrons jamais dans le détail les successifs moments d’une soirée fatale, mais ce qui devait arriver advint : les délétères émanations de toutes ces pages jaunies, mieux que le CO2, mieux que les particules fines, eurent bientôt entièrement envahi les poumons de la malheureuse. Sans doute eut-elle des convulsions, comme le suggère sa posture, il se peut qu’elle ait appelé à l’aide, mais tandis qu’elle étouffait le cercle de famille haletait, lui, devant l’une de ces séries US qui explosent l’audimat. Et voilà comment une belle jeune fille en fleurs aura vécu ce que vivent les roses, et punie de son vice va se retrouver Six Feet Under.