Géronimots XXI

samedi 20 décembre 2014

POTATOY ou PATATOY

                                           

NÉOFRITE n.m. Belge débutant.

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POTATOY ou PATATOY n.m. Jouet sexuel en forme de pomme de terre.
Longtemps je ne pus comprendre ce que faisait dans le tiroir de la table de nuit de maman, enfoui sous un fatras de périodiques féminins : Les Dames de France, Le Jardin des Modes, La Parisienne Libérée, un objet offrant toute l'apparence d'un banal spécimen de Solanum Tuberosum, l'excellent tubercule introduit sous nos latitudes par Antoine Parmentier. Mais il ne germait pas, n’évoluait pas, je n’osais le toucher, je refermais le tiroir en douceur, pour ne pas ébruiter ma présence, jusqu’à tant qu'un jour, irrité de ce profond mystère, je vinsse à le claquer violemment, et j’allais m’éclipser en toute hâte quand je fus frappé dans le dos, comme par un projectile, par une sorte de grésillement, ou de bourdonnement, et soudain je sus que c’était la chose inconnue qui venait de se mettre en marche, ébranlée par le claquement du tiroir ! Je voulais m’enfuir et j’étais cloué au sol, il me semblait que le bruit était de plus en plus fort et qu’il venait, non pas du tiroir, mais de ... moi, comme si j’avais un moteur à l’intérieur de ma personne, comme si le potatoy ou le patatoy de maman (je ne connus le mot que bien plus tard) était en moi, maintenant, vibrant, grésillant, bourdonnant tellement fort que tout le monde allait l'entendre, toute la maisonnée, mon père, maman, la bonne, et infailliblement guidés par le bruit ils allaient se ruer dans la chambre, se jeter sur moi, me secouer comme un prunier à dessein de faire sortir de moi le bruit alors même que, me disais-je, épouvanté, issu de ce moteur qui était à l’intérieur de moi il - le Bruit ! - faisait peut-être partie de ma personne, maintenant, et m’était consubstantiel et si je ne l’avais plus ce serait ne plus être, si on me l’arrachait c’était comme si on m’enlevait le cœur, et mou comme une chiffe je tomberais sur le lit, sur la couche où dormait maman, plus silencieux, plus inerte qu'un gisant.
                           
                     Marcel Proust A l’ombre du fruit des jeunes gens
                     (Addenda à Proustissimots Éditions Champ Vallon 2013)