Géronimots XXI

mercredi 17 décembre 2014

LINCEUL POUR L'ART CONTEMPORAIN




    Le turbulent Paul McCarthy vient de frapper un grand coup place Vendôme, à Paris, en déployant à même le pavé de ce temple du luxe joailler son monumental Linceul pour l’Art Contemporain. MM. Pinault et Arnaud ont déjà sorti le porte-monnaie pour tenter, l’un comme l’autre, l’un contre l’autre, de se porter acquéreurs d’une œuvre qui a déjà commencé de déchaîner les passions et de nourrir les spéculations, non seulement financières, s’il est vrai que les deux milliardaires auraient déjà fait des offres à hauteur de quelque 100 millions d’euros (soit un peu plus du double du Balloon Dog orange de Jeff Koons), mais esthétiques, métaphysiques, sociétales, politiques, théologiques. La révolution verte que semble promettre en ses plis le Linceul ne va pas manquer de froisser maintes frileuses consciences, inquiètes de l’extraordinaire audace, encore qu’énigmatique, de cette grandiose réalisation. Les tenants et fervents les plus optimistes de l’art contemporain se montrent, quant à eux, fous de joie, qui voient dans le Linceul l’enveloppe amniotique de quelque fabuleux Being Beauteous lequel devrait tôt ou tard, déchirant la gangue verdâtre qui l’enclot, paraître au jour. Quant à prédire la durée de la gestation, quant à savoir s’il faudra compter en semaines, en mois, en années, en décennies -  en siècles ? -,  même ceux qui espèrent le plus en cet avènement n’ont garde de proposer un calendrier, se suffisant de laisser entendre qu’ils sont déjà entrés dans l’attente  : « ça durera ce que ça durera », nous confiait un quinquagénaire qui ralliant les croyants les plus résolus se disposait à s’établir dans son sac de couchage à l’angle d’une porte cochère de la place Vendôme, ou au pied d’une vitrine, si la maréchaussée ne l’en chasse pas, aux fins d’entrer dans une léthargie propre à favoriser l’attente, tous ces messieurs bientôt enfouis et presque ensevelis dans leurs sacs dont c’est à peine si nous verrons dépasser leur chef, chauve ou ébouriffé, et sans autres mouvements que ces frémissements nés de leurs rêves quand au travers d’un brouillard verdâtre ils voient le Linceul se secouer, s’agiter, sous l’effort de Celui-là qui finira bien par s’en extraire, et tant pis si à ce moment-là le cercle de nos guetteurs, gisants comme autant de ballots contre les murs, place Vendôme, Paris, depuis bien longtemps ne sont plus en état d’esquisser le moindre geste, de former sur leurs lèvres desséchées la moindre expression, immobiles au fond de leurs individuels linceuls.