Géronimots XXI

vendredi 7 décembre 2018

A L'OMBRE DES GILETS JAUNES EN FLEURS

Cette année-là, ces demoiselles de la petite bande, en tête Titine, avaient enfilé le fameux Gilet Jaune qui faisait fureur dans la France des profondeurs et le samedi dans la capitale. Même, elles prétendaient bloquer l'entrée du Grand-Hôtel ; un jour, imitant les trublions, elles mirent le feu aux poubelles que le personnel de l'établissement venait de sortir, dont celle comportant plusieurs cahiers de mes premiers essais littéraires, peu convaincants, presque totalement ratés, mais dans les flammes qui sortaient du container je crus voir le bûcher où ces chipies avaient entrepris de me consumer, et dans la torsade des fumées noires la mise à mort de mes longues phrases. Le vent les rabattant sur moi je me mis à tousser comme un damné, d'autant plus qu'au lieu de fermer la bouche et de la calfeutrer avec mon mouchoir, je ne pouvais m'empêcher de l'ouvrir en grand, non pour beugler avec Titine et les autres leurs slogans ineptes ("Grand-Hôtel / avec nous !!!", "Ce n'est / qu'un début / continuons la / combustion !!!"), mais c'était comme si je voulusse, avec l'âcre fumée noire issue de mes cahiers en feu, me réapproprier mes mots, en restaurer la substance et en remanier l'ordonnance, sous mon gilet de flanelle, sous mon marcel, dans les profondeurs de mon corps, pour les faire reparaître un jour, à la manière des bulles émanant des lèvres des personnages de BD, dussé-je me ruiner la santé dans ces âpres travaux intérieurs, tandis que ces demoiselles Gilets Jaunes continueraient de danser leur sarabande autour de l'incendie et de m'enjamber gaiement, quand je serai tombé par terre, exténué, sans même avoir la force de jeter un oeil sous leurs jupes aussi courtes que leurs idées et leurs gilets, jaunes.