Cet homme vient de recevoir une lettre d'amour, dont ne nous connaitrons jamais, c'est fort dommage, que ces quelques gribouillis au verso, encore que suffisants à suggérer la plume d'une dame. Toujours est-il que lisant ou déchiffrant l'amoureuse missive, le bonhomme, non seulement déjà s'exorbite, mais sa curieuse coiffe vient de commencer, timide encore, de gonfler, en expression de l'émoi qui dès les premières lignes s'est emparé de l'âme du bienheureux lecteur ... : et dans ces conditions, après de tels débuts, tout nous laisse à penser que gonflant continûment, au fur et à mesure que s'accroît la lascivité des évocations, cette coiffe enfoncée sur le chef de notre héros en viendra à se dresser dans une telle turgescence de ses tissus que ce sera, à l'acmé du processus, l'horrifique explosion, bien capable d'occasionner par contiguïté, car ils ne font plus qu'un, celle du pauvre bougre dont à même le plancher subsisteront tout au plus, discrets mais signifiants vestiges, les deux sourcils érigés et surtout, surtout les deux globes oculaires qui dans le paroxysme de leur bombement prouveront à la dame, si elle vient sur les lieux, ne fût-ce que pour ravoir sa lettre, miraculeusement intacte, combien elle fut, elle était, elle est encore aimée.
mardi 31 mars 2015
LA LETTRE
Jacques Géraud est (s'efforce d'être) écrivain. Après des études austères (hypokhâgne, khâgne, bagne, ENS de Saint-Cloud, agrégation de lettres modernes), il a jusqu'à sa retraite enseigné en lycée dans la banlieue parisienne. Il vit à Lyon. Il a publié une dizaine de livres atypiques chez P.O.L, aux PUF, chez JBZ/Hugo&Cie, à l'Arbre Vengeur, aux éditions Champ Vallon.Conférencier des Alliances Françaises en 2009 aux États-Unis et au Canada. Il a été chroniqueur sur le Huffington Post (Culture), et sur ventscontraires.net (revue collaborative du Théâtre du Rond-Point) .