HORTOGRAPHE : Jardin de lettres
Le modeste hortographe sis derrière le Grand Hôtel avait d'abord attiré quelques curieux, quelques snobinards, et puis, plus personne ne s'y risquant, il n'avait pas tardé de retourner à l'état sauvage. Sourd aux objurgations de ma grand-mère, j'étais le seul à m'y aventurer quelquefois, à la nuit tombée, à la lueur de la lune. Telle était la hauteur des hampes que j'étais bien près de disparaître dans leurs hérissements, d'autant que j'avais la crainte vague que ma seule et noctambule présence dans ce jardin unique en son genre, et ma déambulation parmi les exubérantes volutes de sa flore, pourrait si bien aider à leur essor que ce ne serait, si j'étais leur nutriment, qu'à mon détriment, et sans même m'en rendre compte j'irais diminuant, me rapetissant à proportion que tout autour de moi ça poussait, poussait, jusqu'à finir, si je ne m'extirpais pas à temps des rets de cette folle végétation-là, par m'y résorber tout entier, ne laissant de ma personne nul vestige sinon tout au plus un tout petit soulier dont j'espérais au moins qu'il se retrouverait en pendentif entre les seins flétris de ma grand-mère.