Cet animal familier, Canis lupus familiaris, sans demander son avis à son maître a entrepris le grand oeuvre de sa désincarnation, bien loin d'être achevée, sans doute, mais tout de même assez prometteuse, si nous en jugeons par l'état présent de son ombre qui ne fait qu'anticiper sur l'évolution, pour l'heure virtuelle, de son corps. Tant et si bien que nous avons tout lieu de croire que les temps sont proches, ou ne tarderont pas de l'être, où de cet exemplaire de canis lupus familiaris, non seulement l'ombre se sera néantisée, aussi absente, désormais, que celle du Peter Schlemihl d'Adalbert Von Chamisso, mais, fatalement, le corps, et dans la main du maître ne restera qu'une laisse définitivement veuve du cou qu'elle entourait, bienheureux si le pauvre animal a réussi à sauver, de ce qui fut son être, jonchant le dallage un mic-mac de taches ou de plaques noires, rescapées de l'abolition, que nous suggérons à ce maître esseulé de recueillir au plus vite, on ne sait jamais, pour enfourner cette humble, mais réelle, collection tout au fond de sa poche, où remuant même machinalement l'inassemblable puzzle de ces quelques dizaines de pièces, tout en tendant l'oreille pour percevoir le bruit léger de leur entrechoc, du moins aura-t-il gardé par-devers soi un quelque chose de ce qui fut son chien.
mercredi 4 mars 2015
CANIS LUPUS FAMILIARIS
Jacques Géraud est (s'efforce d'être) écrivain. Après des études austères (hypokhâgne, khâgne, bagne, ENS de Saint-Cloud, agrégation de lettres modernes), il a jusqu'à sa retraite enseigné en lycée dans la banlieue parisienne. Il vit à Lyon. Il a publié une dizaine de livres atypiques chez P.O.L, aux PUF, chez JBZ/Hugo&Cie, à l'Arbre Vengeur, aux éditions Champ Vallon.Conférencier des Alliances Françaises en 2009 aux États-Unis et au Canada. Il a été chroniqueur sur le Huffington Post (Culture), et sur ventscontraires.net (revue collaborative du Théâtre du Rond-Point) .