Et soudain je revis ce moment où, j'allais peut-être sur mes treize ans, j'étais tout nu dans la salle de bain de maman, à farfouiller, vaguement excité, dans ses boîtes de médocs et de maquillage, quand j'avisai sur le carrelage un objet inconnu où d'abord je crus voir une cigarette (or maman n'avait jamais fumé), prolongée d'un bout de ficelle ... Ou bien serait-ce, me disais-je effaré, la reproduction très agrandie d'un spermatozoïde, comme j'en avais vu l'image dans un gros dico de mon paternel, où ce que j'avais pris pour une une ficelle était le flagelle? Et dans une illumination, en cet objet que je venais d'étiqueter de la sorte, je crus reconnaître le spermatozoïde même dont j'étais issu, qui avait fécondé l'oeuf maternel, m'interrogeant s'il ne valait pas mieux l'écrabouiller ou le déchiqueter, avec des gants, et faire disparaître les débris blanchâtres dans le lavabo, en déversant dessus une cataracte, et tant pis si par un effet fatal de cette dilacération j'allais moi aussi disparaître et m'anéantir, ne laissant de ma personne que ces fins gants de latex qui, tombés sur le carrelage, attesteraient le crime dont j'avais été l'auteur, et la victime, quitte à ce que maman, pour ne pas m'oublier, eût désormais à les porter toujours, jusqu'à l'heure de sa mort où elle les mordrait douloureusement en poussant son dernier souffle.
samedi 31 janvier 2015
A LA RECHERCHE DU TAMPON PERDU
Jacques Géraud est (s'efforce d'être) écrivain. Après des études austères (hypokhâgne, khâgne, bagne, ENS de Saint-Cloud, agrégation de lettres modernes), il a jusqu'à sa retraite enseigné en lycée dans la banlieue parisienne. Il vit à Lyon. Il a publié une dizaine de livres atypiques chez P.O.L, aux PUF, chez JBZ/Hugo&Cie, à l'Arbre Vengeur, aux éditions Champ Vallon.Conférencier des Alliances Françaises en 2009 aux États-Unis et au Canada. Il a été chroniqueur sur le Huffington Post (Culture), et sur ventscontraires.net (revue collaborative du Théâtre du Rond-Point) .