RIFIFILLES Altercation mettant aux prises deux ou
plusieurs meufs.
L’apparente
harmonie régnant au sein de la petite bande ne suffisait pas à me donner le
change, et toujours je voyais le moment où l’une de mes quatre jeunes filles,
invoquant quelque grief oublié, ou ne se donnant même pas cette peine,
tomberait à bras raccourcis sur sa voisine, assise elle aussi sur leur banc attitré sur la digue, et une fois de plus, comme tous
les jours, ou peu s’en faut, ce serait le rififilles !
Elles seraient bientôt toutes les quatre, Albertine, Andrée, Rosemonde, Gisèle,
à se culbuter et à rouler à même le sol, se distribuant toute une gamme de
horions, gifles, coups de pied, coups de griffes, cheveux tirés, morsures,
n’hésitant pas à s’arracher leurs polos et leurs shorts, jusqu’à se retrouver
non seulement englantées mais plus qu’à moitié à poil dans la poussière,
insoucieuses d’exhiber une fesse ou un sein, configurant à toutes les quatre,
bras et jambes emmêlés, une sorte de nœud agité de spasmes, tandis qu’au-dessus
de cette hydre j’étais tel un arbitre mais entièrement ignorant des règles de
leurs jeux enragés, incapable d’intervenir, tout à la fois épouvanté et
fasciné, et m’attendant que sans rien perdre de sa violence l’hubris de leur
lutte en vînt à dégénérer en une joute érotique où les cris de rage se
changeraient en autant de gémissements et autres feulements, cherchant à
déceler dans leur amas les gestes les plus obscènes, et ne sachant si
j’espérais ou redoutais que ma grand-mère, dont les noirs jupons ne traînaient
jamais bien loin, ne surgît soudain, clopinant de toute la force de ses antiques
guibolles, et brandissant son ombrelle pour frapper à coups redoublés, comme un
chasseur un nœud de vipères, le groupe convulsif de mes quatre ménades en
proie, maintenant, à la vertueuse fureur de cette mémé.
(30 juillet
2015 Addenda aux 69 additifs de Proustissimots Éditions Champ Vallon 2013)