Ce journalier, la pelle sur l'épaule, aimerait rentrer chez lui après le labeur, mais une femme lui barre la route, aussi richement vêtue qu'il est, lui, misérable, n'ayant qu'un méchant drap jeté sur le corps. Mais sans doute est-ce ce dénuement qui aura séduit cette dame qui, dans une hallucination, semble déjà voir et presque tenir dans ses mains, qu'elle écarte à proportion, le membre fabuleux du pauvre bougre, excédant de beaucoup les mensurations de la mieux dotée des porn-stars ? Aura-t-il de quoi répondre à son désir? Va-t-il, à défaut, lâchant sa pelle, prestement se défiler, heureux si la jeune femme enfiévrée n'a pas réussi à crocher sa pauvre vêture, et cependant qu'il détale tout nu, pour bientôt disparaître à l'horizon, s'étant dépouillée de son habit somptueux nous verrons la dame s'enrouler et se rouler dans le drap qui est tout ce qui lui reste et sera, désormais, jusqu'à son dernier souffle son unique vêtement, dans les plis usagés duquel elle aura exigé d'être inhumée, et que la fosse où on la jette soit ouverte avec la pelle même de Celui qu'un jour lointain inopinément elle croisa.
jeudi 11 février 2016
BEAUX DRAPS
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JC
Jacques Géraud est (s'efforce d'être) écrivain. Après des études austères (hypokhâgne, khâgne, bagne, ENS de Saint-Cloud, agrégation de lettres modernes), il a jusqu'à sa retraite enseigné en lycée dans la banlieue parisienne. Il vit à Lyon. Il a publié une dizaine de livres atypiques chez P.O.L, aux PUF, chez JBZ/Hugo&Cie, à l'Arbre Vengeur, aux éditions Champ Vallon.Conférencier des Alliances Françaises en 2009 aux États-Unis et au Canada. Il a été chroniqueur sur le Huffington Post (Culture), et sur ventscontraires.net (revue collaborative du Théâtre du Rond-Point) .