L’ORACLE HOUELLEBECQ ET
L’AFFAIRE VINCENT LAMBERT
Michel Houellebecq, l’écrivain national, dans sa
tribune du Monde daté du 12 juillet, voit dans la mort de Vincent Lambert un
crime d’État, pas moins : « Ainsi l’État français a réussi à faire ce
à quoi s’acharnait, depuis des années, la plus grande partie de sa
famille : tuer Vincent Lambert. » Autrement dit, le combattant
suprême et grand timonier de la littérature française s’aligne exactement sur
les parents de Vincent Lambert, couple de catholiques intégristes, d’ailleurs
en phase avec le Vatican selon lequel cet arrêt des soins est « une
défaite pour notre humanité » ; à l’inverse, l’envoi au bûcher, par
les Inquisiteurs de la sainte Église de Rome, des « hérétiques » de
tout poil ou des sataniques « sorcières » était une victoire pour
notre humanité.
Houellebecq, de sa position suréminente et
surplombante, est à même de nous délivrer un savoir absolu sur le vécu de
la victime de « l’État français » : « Il n’était en proie à
aucune souffrance du tout. » ; et puis, deux lignes plus bas :
« Il vivait dans un état mental particulier, dont le plus honnête serait
de dire qu’on ne connaît à peu près rien. » Un peu contradictoire avec ce
qui précède ? Tant pis. Juste après : « Il n’était pas en état
de communiquer avec son entourage, ou très peu (ce qui n’a rien de franchement
original ; cela se produit, pour chacun d’entre nous, à peu près toutes
les nuits). » Cette analogie, établie par le grand penseur, entre dix ans
d’état végétatif et notre sommeil quotidien, laisse … rêveur. Et comme le
romancier génial est doué de connaissances médicales et pharmacologiques sans
pareilles, il est en mesure d’affirmer que, grâce à la morphine :
« La souffrance n’est plus un problème, c’est ce qu’il faut répéter sans
cesse aux 95% de personnes qui se déclarent favorables à l’euthanasie. »
Vers la fin de « La carte et le
territoire » (2010, prix Goncourt, respect), le père du personnage
principal Jed Martin, atteint d’un cancer incurable va demander son euthanasie
en Suisse. Que fait le fils, informé après coup ? Il va … tabasser et
quasiment massacrer à coups de pieds et de poings une malheureuse employée de la bien réelle association
Dignitas qui a commis le crime de répondre favorablement au souhait, motivé, de
son père. Cette salutaire intervention du courageux Jed aura été précédée de
toute une série d’affabulations houellebecquiennes sur les horreurs des
protocoles de ces euthanasies ; un procès s’ensuivra, mais Houellebecq,
héros français, récemment décoré de la légion d’honneur des mains mêmes de
Macron, sera relaxé au nom des droits de la fiction à dire tout et n’importe
quoi.
Les 95% de Français qui en effet sont favorables
à l’euthanasie sont évidemment des idiots ; celles et ceux qui, refusant
la perspective de leur déchéance, vont volontairement mourir en Belgique ou en
Suisse, devraient plutôt faire soumission au discours du suprême savant
Houellebecq. Mais notre grand homme national, vertueux défenseur de la vie ou
la survie à tout prix, n’a pas trop à s’inquiéter : la lâcheté des
Présidents successifs, craintifs devant l’Église catholique (2% de nos
concitoyens vont à la messe tous les dimanches), le conservatisme dominant dans
le corps médical, donnent encore de beaux jours au tabou français de
l’euthanasie. La nouvelle loi de « bioéthique » se focalisera sur la
PMA, sujet plus glamour, et notre pays devrait en rester aux tartufferies
sédatives de la loi Leonetti. En attendant, comme antidote à l’oracle national,
on peut lire « Médecin catholique,
pourquoi je pratique l’euthanasie », de la Belge Corinne Van Oost, ou
« Le Tout dernier été » de
la romancière Anne Bert, qui atteinte de la terrible maladie de Charcot avait
choisi à 59 ans, en octobre 2017, d’aller mourir en Belgique.