Le thon, je m'en suis bouffé de bonne heure. Tôt le matin, réveillé en sursaut par maman, j'avais planant à l'orée de ma bouche une cuillère à soupe d'huile de foie, pas de morue, mais de thon ! Si je faisais des manières pour l'avaler, maman voulait me l'enfourner de force, dans l'intérêt supposé de ma croissance, et je me débattais et je m'en mettais partout sur mon pyjama, le ton montait, je pleurnichais, maman me criait tu vas nous l'avaler oui ton thon, et de peur d'affreuses représailles, genre tu ne reverras plus jamais ta grand-mère, j'avalais mon huile de foie de thon. Longtemps je ne revis plus de mon enfance que cette matutinale, huileuse, houleuse séquence, et j'en venais à me dire que ce serait toujours comme ça, que toujours je serais dans le thon.
jeudi 21 décembre 2017
LONG THON
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Marcello
Jacques Géraud est (s'efforce d'être) écrivain. Après des études austères (hypokhâgne, khâgne, bagne, ENS de Saint-Cloud, agrégation de lettres modernes), il a jusqu'à sa retraite enseigné en lycée dans la banlieue parisienne. Il vit à Lyon. Il a publié une dizaine de livres atypiques chez P.O.L, aux PUF, chez JBZ/Hugo&Cie, à l'Arbre Vengeur, aux éditions Champ Vallon.Conférencier des Alliances Françaises en 2009 aux États-Unis et au Canada. Il a été chroniqueur sur le Huffington Post (Culture), et sur ventscontraires.net (revue collaborative du Théâtre du Rond-Point) .